Le cinéma a tenu une grande place dans ma vie à une certaine époque, qui était celle de la jeunesse, quand on découvre une multitude de choses et qu’on prend conscience de l’étendue de la créativité humaine. Peut-être que le cinéma est justement fait pour les âmes jeunes. Avec l’âge, la maturité, tout cela paraît un peu dérisoire, au point que je ne regarde plus que rarement des films, et quand cela m’arrive, c’est surtout pour revoir ceux qui m’ont marqués.
Évidemment, je ne me suis jamais intéressé à la pathétique cérémonie des Césars, mauvais décalque des Oscars américains. Les échos que j’ai eus de la dernière édition semblent indiquer que cette pantalonnade a touché le fond du grotesque cette année (bien qu’en terme de pire, on puisse toujours avoir des surprises), symptôme flagrant de la dégénérescence complète du cinéma français depuis quelques décennies. Il faudrait d’ailleurs être complètement fou ou abruti pour payer afin de voir un film français qui a moins de 20 ans.
Je ne vais pas perdre mon temps et gaspiller le votre en faisant la liste des reproches qu’on peut faire au cinéma français, le seul mot grotesque de « Danyboon » résumant à mon avis à peu près tout. Plus intéressante me semble l’idée que le cinéma, d’une manière générale, est peut-être arrivé au bout de ce qu’il pouvait donner, qu’il a tout dit, et qu’il ne peut plus qu’être une pâle copie de lui-même, dans le meilleur des cas. Après tout, le cinéma n’a qu’une centaine d’année d’existence, ce qui est très peu au regard des toutes les autres formes d’expression artistique, et pourrait bien disparaître avant toutes les autres, car il est lié par essence à des conditions techniques et à un moment industriel. À l’échelle de l’humanité, l’effet Lindy joue plutôt en sa défaveur.
D’autre part, la façon de consommer un film n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était il y a encore une vingtaine d’années. Que ce soit dans une salle ou à la télévision, il fallait à une époque être présent à un certain créneau horaire et on ne pouvait pas arrêter de regarder pour reprendre plus tard, y compris des séries qu’on ne pouvait suivre qu’en étant fidèle au rendez-vous imposé par la grille horaire d’une chaîne télévisée. Les plus jeunes n’ont pas connu cela et ont probablement du mal à imaginer ce type de contrainte. Aujourd’hui, un film, une série, ou toute œuvre apparentée se consomme n’importe quand, n’importe où, au rythme qu’on choisit. Ce changement est d’origine purement technique – la capacité à envoyer des flux d’image et de son sur des appareils aussi petits et portatifs que les ordiphones – et induit un mode de consommation nouveau, et par ricochet une façon de créer et de produire différente, d’où l’avènement des séries débitées ad nauseam pour meubler les offres des plateformes.
Si je voulais être méchant, je dirais que le cinéma est un truc de boomer : des gens jeunes, insouciants et nombreux se réunissent dans des salles pour voir des films dont ils gardent des souvenirs impérissables des années plus tard (et il est vrai qu’il y avait de bons films à une époque). Le cinéma va disparaître avec eux, remplacé par une sorte de retour aux origines de ce qu’il était : un divertissement forain pour illettrés, dont on voit aisément la résurgence dans les blockbusters hollywoodiens dont le principal souci est d’en mettre plein la vue au spectateur d’un côté, et de l’autre la prolifération des micro-séquences façon tik-tok qui rappellent les lanternes magiques et autres appareils des débuts donnant à voir de courtes séquences insolites en boucle mais qui ne racontaient pas grand-chose. D’ailleurs, une remarque typique de boomer est qu’on profite mieux d’un film comique quand on le voit dans une salle, car le rire serait communicatif et social. C’est évidemment dépassé : la dimension collective du cinéma a vécu, l’image animée s’expérimentent désormais seul ou à quelques uns dans le confort – relatif- d’un appartement, pratique résumée par l’expression hideuse « Netflix and chill ».
Évidemment, la caste incestueuse qui domine le cinéma en France n’a rien compris et s’attache à son modèle vermoulu, exactement comme le fait la caste dirigeante en politique. Ce qui nous donne la calamiteuse cérémonie des Césars qui se vautre dans la bêtise, la vulgarité et le gauchisme indigéniste.
En attendant, vous pouvez toujours revoir Le voleur de bicyclette ou Rome ville ouverte.